Dénigrer son employeur peut coûter cher : un salarié peut-il tout dire au nom de la liberté d’expression ?
Pas sans risque. Lorsqu’un employé porte atteinte à l’image de l’entreprise, y compris en dehors du lieu de travail ou sur un réseau social, il s’expose à des sanctions disciplinaires. Dans les cas les plus graves, cela peut justifier un licenciement immédiat.
Le droit du travail encadre strictement la liberté d’expression : obligation de loyauté, respect du cadre professionnel, attention au caractère privé ou public des propos.
Dans cet article, je vous explique comment protéger votre entreprise, car dénigrer son employeur peut coûter cher !
Sommaire
Peut-on tout dire au travail ? Ce que le droit dit sur l’expression des salariés
Non. La liberté d’expression du salarié est encadrée par le droit du travail et limitée par l’obligation de loyauté.
Une liberté d’expression encadrée dans la relation de travail
Tout salarié jouit d’une liberté d’expression, au travail comme en dehors, garantie par :
- L’article 11 de la déclaration des droits de l’Homme et du citoyen.
- L’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme.
- L’article L.1121-1 du Code du travail.
Mais cette liberté connaît des limites. L’article précité et la jurisprudence, notamment l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de Cassation du 14 décembre 1999 (n° 97-41.955), rappellent qu’un employeur peut limiter la liberté d’expression si ces restrictions sont :
- justifiées par la nature de la tâche à accomplir.
- et proportionnées au but recherché, notamment la protection de l’entreprise ou du climat social.
Autrement dit, les propos à caractère injurieux, diffamatoire ou excessif peuvent être sanctionnés (Cass. Soc. 3 juillet 2012 n° 11-10793), surtout s’ils nuisent à l’image ou au bon fonctionnement de la structure.
Dans ce cadre, vous pouvez exercer votre pouvoir disciplinaire et, si nécessaire, engager une procédure judiciaire sanctionnant l’abus de droit.
L’obligation de loyauté vis à vis du chef d’entreprise
L’article 1222-1 du Code du travail impose à chaque salarié un principe de loyauté vis à vis de l’employeur, applicable pendant toute la durée du contrat, y compris en dehors du temps et du lieu de travail. Il peut, dans certains cas, se prolonger après la rupture du contrat.
Cette obligation est d’ordre public : inutile de la mentionner dans le contrat. Toutefois, certaines clauses (confidentialité, exclusivité) peuvent la renforcer.
En conséquence, un salarié ne peut :
- Tenir des propos dénigrants ou critiques en public.
- Diffuser des informations sensibles.
- Ou nuire à l’image de l’entreprise, même de manière indirecte.
Quand les propos d’un salarié nuisent-ils à l’image de l’entreprise ?
Un salarié peut être sanctionné si ses propos publics ou malveillants impactent la réputation ou l’ambiance au travail.
Comportements répréhensibles pendant la relation de travail
Même en dehors du lieu ou du temps de travail, votre salarié reste tenu à un devoir de réserve. Des critiques publiques, des propos moqueurs ou diffamatoires peuvent porter atteinte à l’autorité, à l’image de la direction ou à la cohésion de l’équipe.
Le critère déterminant est l’impact réel sur votre entreprise : tension entre collègues, déstabilisation du management, perte de crédibilité, etc.
Exemples jurisprudentiels :
- Critique en privé mais devant un collègue : propos visant à nuire à l’image des dirigeants → sanction justifiée, même en dehors du temps de travail (Cass, soc. 15 juin 2022, n° 21-10572).
- Courriel interne accessible à tous : dénonciation de l’incompétence de l’employeur → propos fautifs (Cass. Soc. 29 février 2012 n° 10-15043).
- Conférence de presse post-rupture : accusations publiques de harcèlement moral infondées → manquement grave à l’obligation de loyauté (Cass. Soc. 5 juillet 2018 n° 17-17485).
Quid des propos tenus après la rupture du contrat ?
Un salarié n’est pas totalement libre de ses propos une fois le contrat terminé.
Même en dehors du lien contractuel, le droit commun (responsabilité délictuelle) et certaines clauses post-contractuelles (confidentialité, non-dénigrement…) s’appliquent encore.
Si un ancien salarié tient des propos nuisibles à l’image de l’entreprise, et que le préjudice est démontrable, vous pouvez demander réparation et des dommages-intérêts.
Illustration :
Pour avoir pris le risque de dénigrer son ancien employeur en ligne, un ancien responsable achats a été condamné à verser 1 500 € de dommages-intérêts.
Ses publications étaient accessibles à des clients et fournisseurs (CA Reims, 11 janvier 2023, n°21/01836).
Zoom sur les réseaux sociaux
C’est souvent sur les réseaux sociaux que les litiges explosent. C’est un terrain à haut risque : aujourd’hui, dénigrer son employeur peut coûter cher, parfois juste pour un simple message sur LinkedIn, Facebook, blogs, Google Avis…
Les critères analysés par les juges
Les juridictions tiennent compte de plusieurs éléments pour déterminer le caractère fautif d’un propos :
- Public ou privé : combien de personnes peuvent voir le message ?
- Intention de nuire : propos délibérés ou simples maladresses ?
- Ton et contenu : vocabulaire, accusations, ironie…
- Impact potentiel : sur la réputation, les relations clients, la hiérarchie, etc.
Illustrations jurisprudentielles
- LinkedIn : un salarié ayant tenu des propos virulents envers son employeur a été condamné à des dommages-intérêts (CA Reims, 11 janvier 2023, n°21/01836).
- Facebook (compte privé) : les propos publiés à 14 « amis » ont été considérés comme relevant de la vie personnelle – aucune faute retenue (Cass. soc., 12 septembre 2018, nº 16-11.690).
- Publication Facebook visible sur l’écran de l’entreprise : propos affichés à la vue des collègues = caractère public confirmé (CA Toulouse, 2 février 2018, n° 16/04882).
- Mur Facebook personnel : publication de photos confidentielles d’une collection, parmi les « amis », un salarié concurrent → licenciement validé (Cass. soc. 30 septembre 2020 n° 19-12.058).
Même sur un compte personnel, le caractère public peut donc être retenu si le contenu est accessible à des tiers. - Blog personnel : propos publics et accessibles à tous → violation de la clause de confidentialité = faute caractérisée (TGI Béthune, 14 décembre 2010, n° 09/02925).
- Site de notation anonyme : un directeur artistique licencié pour faute grave après avoir publié un commentaire très critique envers son entreprise (Cass. soc. 11 avril 2018 n°16-18590).
Ces situations montrent bien que dénigrer son employeur peut coûter cher, quelle que soit la forme des propos.
Dénigrer son employeur peut coûter cher : quels recours pour l’entreprise ?
Face à des propos nuisibles, vous pouvez prendre des mesures disciplinaires ou saisir la justice pour défendre votre réputation.
Sanctionner le salarié fautif
Dès lors que les propos fautifs sont identifiés, vous pouvez exercer votre pouvoir disciplinaire (Cass. Soc. 11 avril 2018, n°16-18.590).
Votre premier réflexe doit être de qualifier précisément les faits. Un salarié qui critique une décision managériale en réunion ne mérite pas la même réponse que celui qui vous accuse publiquement de harcèlement moral sur LinkedIn.
Avant d’agir, posez-vous 3 questions simples :
- Les propos sont-ils injurieux, diffamatoires ou simplement critiques ?
- Ont-ils été tenus dans un cadre public ou privé ?
- Ont-ils un impact réel sur l’image, l’autorité ou le fonctionnement de l’entreprise ?
Choisir la sanction adaptée à la gravité des faits
Une fois les faits qualifiés, vous pouvez adapter la sanction disciplinaire :
- Avertissement ou blâme : pour un premier écart, sans volonté manifeste de nuire.
- Mise à pied disciplinaire : en cas de propos graves, mais sans aller immédiatement jusqu’au licenciement.
- Licenciement pour faute grave : si l’atteinte à la réputation ou à l’autorité est avérée.
- Rupture du contrat de travail pour faute lourde : en cas d’intention claire de nuire (exemple : harcèlement inversé, calomnie publique).
L’appréciation du juge
Les juges statuent au cas par cas. Ils prennent en compte :
- Le contexte des propos.
- Leur caractère isolé ou répété.
- Leur forme et leur contenu (ton, vocabulaire…).
- L’intention du salarié.
- Son ancienneté et ses fonctions.
Ont été jugés, par exemple, sans cause réelle et sérieuse :
- Le licenciement pour faute lourde d’un couvreur ayant dénigré son entreprise et accusé un collègue : propos jugés anecdotiques, sans intention de nuire (Cass. soc., 13 juill. 2016, n° 15-12430).
- Le licenciement pour faute grave d’un salarié ayant vivement critiqué la direction dans un courrier privé, adressé uniquement au directeur (Cass. soc. 29 mai 2024, n° 22-20.359).
Mes conseils pour sécuriser la procédure :
- Constituez un dossier solide : captures d’écran datées, témoignages, copies de publications.
- Évaluez la proportionnalité : un salarié irréprochable depuis 10 ans ne se traite pas comme un récidiviste.
- Respectez les délais : 2 mois maximum à compter de la connaissance des faits.
- Faites la distinction entre vie privée et vie publique : ce n’est pas l’endroit qui compte, mais l’impact et l’intention.
Agir en justice pour réparer une atteinte à la réputation
Lorsqu’une simple sanction disciplinaire ne suffit plus, dénigrer son employeur peut coûter cher, y compris sur le plan civil ou pénal.
Si les propos portent gravement atteinte à l’image, au fonctionnement ou aux intérêts économiques de l’entreprise, vous êtes fondé à intenter une action en justice.
1. Action en responsabilité civile
Vous pouvez engager une procédure fondée sur la responsabilité délictuelle, visée à l’article 1240 du Code civil, si vous prouvez :
- Un préjudice réel (perte de clients, atteinte à l’image, tensions internes…).
- Un lien de causalité avec les propos du salarié.
2. Action pour diffamation ou injure publique
Si les propos sont mensongers, humiliants, malveillants et diffusés publiquement, une action pénale est envisageable sur le fondement des articles 32 et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse.
Votre salarié encourt :
- Jusqu’à 12 000 € à 45 000 € d’amende.
- Et jusqu’à 1 an d’emprisonnement en cas de propos à caractère discriminatoire (raciste, sexiste, homophobe…).
Avant toute action, faites réaliser une analyse juridique rigoureuse : nature des propos, support de diffusion, intention de nuire, existence d’un dommage.
Vous pourrez alors choisir la voie la plus efficace : procédure civile, pénale ou disciplinaire.
Une lettre de mise en demeure ou une action en référé peuvent parfois suffire à obtenir un retrait rapide des contenus nuisibles.
FAQ
Qu’est-ce que le dénigrement d’une entreprise ?
Des propos publics malveillants ou infondés à l’encontre de l’entreprise, susceptibles de nuire à sa réputation ou à son fonctionnement.
Quelle est la différence entre dénigrer et critiquer ?
Critiquer, c’est exprimer un désaccord de façon argumentée et respectueuse. Dénigrer, c’est formuler des propos malveillants, souvent publics, dans une volonté de nuire.
Est-il sanctionnable de dénigrer son supérieur hiérarchique ?
Oui. Même hors travail, des propos injurieux ou dégradants envers la hiérarchie peuvent justifier une faute grave.
Est-il possible de critiquer son employeur ?
Oui, à condition que la critique reste loyale, privée et respectueuse.
En revanche, tout propos public nuisant à la réputation de l’entreprise peut être sanctionné – et dénigrer son employeur peut coûter cher.
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